Chapitre 7

Les yeux de Ki s’étaient rouverts de leur propre volonté. Elle resta étendue un moment, les yeux levés vers le ciel, avant de réaliser qu’elle était réveillée. Elle tourna la tête sur le côté pour contempler sa compagne.

Hollyika dormait paisiblement sur le flanc, légèrement recroquevillée. Les contours de sa silhouette étaient assombris par la nuit et adoucis par une fine couche de fourrure duveteuse. Ki examina son visage avec une certaine curiosité. La lumière tamisée mais omniprésente de ce monde divisait son visage en deux moitiés, l’une exposée aux reflets argentés, et l’autre dissimulée dans l’ombre. L’œil visible était aussi grand que celui d’un cheval. Une rangée horizontale de cils épais marquait la jonction des deux paupières qui le recouvraient. La base de son nez ne se situait pas entre ses deux yeux mais légèrement en dessous de leurs coins intérieurs. Elle avait un nez plus large que celui d’une humaine, avec des narines mieux définies et plus utiles. Même pendant qu’elle dormait, ses narines frémissaient légèrement au rythme de sa respiration pour l’informer des nouvelles portées par les odeurs nocturnes. Sa lèvre supérieure était fendue et arrondie comme celle d’un chat. La bouche en dessous était extrêmement généreuse ; les coins atteignaient pratiquement les pivots de ses mâchoires. Seule la portion centrale était utilisée pour parler. Ki estima que si Hollyika ouvrait grand la bouche, elle pourrait aisément y enfourner la tête d’un lapin. La Romni ne put s’empêcher de tressaillir en se rappelant les rumeurs qui affirmaient que c’était exactement la manière dont les Brurjan liquidaient leurs proies.

De petites mains étaient paisiblement blotties sous l’impressionnante mâchoire. Malgré la grande taille de Hollyika, ses mains n’étaient pas plus grandes que celles de Ki. Ses doigts étaient plus épais et leurs dos couverts d’une fine couche de fourrure. Ils se terminaient par des ongles noirs légèrement recourbés. L’aspect boudiné de ses doigts et leur petitesse par rapport au reste de son corps conféraient à ses mains une apparence de douceur et de faiblesse. Ki était prête à parier qu’il n’en était rien.

Elle reporta son regard sur le visage endormi pour découvrir que les paupières de Hollyika s’étaient fendues en leur centre, révélant ses pupilles. Le regard de la Brurjan se focalisa sur Ki et elle ouvrit grand les paupières. Puis elle s’assit avec lenteur en s’étirant et en faisant rouler ses épaules musclées. Tandis qu’elle bâillait à s’en décrocher la mâchoire, Ki ne put s’empêcher de couler un regard fasciné vers la double rangée de dents pointues qui garnissaient son impressionnante gueule. Hollyika bondit sur ses pieds d’un unique mouvement, sans effort apparent.

— Il est temps de partir, dit-elle à voix basse. Je sens qu’il est tant de se remettre en route. Pas toi ?

Ki hocha la tête. Elle le sentait, un puissant désir de se lever et de repartir à la recherche de ces lueurs lointaines qui l’appelaient de manière si entêtante. La sérénité absolue l’attendait au bout de cette route. Cette seule idée faisait saliver Ki. Elle se leva et jeta sa couverture à l’arrière du chariot. Hollyika y déposa également la sienne mais lorsque Ki se tourna pour saisir le harnais de l’attelage, elle posa une main sur son bras.

— Comment peux-tu pratiquer l’esclavage sur des animaux dans un tel endroit ? demanda-t-elle d’un ton accusateur.

Ki eut un mouvement de recul à son contact mais Hollyika resta immobile. Elle n’était ni menaçante ni en colère, décida Ki, elle voulait seulement lui faire un reproche.

— J’ai conduit un chariot toute ma vie durant. C’est ce que je suis, une conductrice Romni.

Hollyika secoua la tête.

— C’est aussi idiot que si je disais que j’ai toujours été une guerrière chevauchant des chevaux. Ce n’est vrai qu’en ce qui concerne ma vie de l’autre côté de la porte. Ces terres m’ont ouvert les yeux. Qu’il est étrange de penser que c’est dans la pénombre que j’y ai enfin vu clair. Je ne dois plus me battre, ni forcer un animal à accomplir ma volonté. Je ne dois pas non plus manger de viande.

— Ainsi tu as abandonné ton harnais sur la route et laissé ton cheval aller où bon lui semblait.

Hollyika acquiesça. Pour la première fois, Ki remarqua la façon dont son cuir à la fine fourrure pendait le long de sa silhouette. Elle n’avait jamais entendu parler d’un Brurjan mangeant autre chose que de la viande ou des gâteaux de céréales trempés dans le sang. Hollyika ne donnait pas l’impression de bien s’adapter à son nouveau régime. Son apparence était pathétique, ou du moins aussi pathétique qu’il était possible de l’être pour un Brurjan.

— Pourquoi avoir aussi abandonné tes vêtements ?

— Devrais-je porter du cuir, la peau d’une autre créature arrachée à son corps ensanglanté ? De plus, le fait de couvrir ainsi mon corps n’était que fausse pudeur. Je ne cacherai plus ce que je suis. De l’autre côté de la porte, mon corps m’était étranger, car il n’est ni brurjan ni humain. Et porter des vêtements était une manière pour moi de renier l’un et l’autre. Mais avec l’aide du Limbreth, je me suis acceptée telle que je suis, comme tu devrais le faire toi aussi. Débarrasse-toi des déguisements que tu portes, jette-les au loin comme tu jetteras les harnais qui faisaient de ces pauvres bêtes tes esclaves. Ne perçois-tu pas la vérité dans mes paroles ?

Ki était incapable de croiser le regard de Hollyika. Elle secoua lentement la tête, se sentant vaguement honteuse de n’avoir pas envie d’obéir. Elle perçut la justesse des paroles de Hollyika envahir progressivement son corps et son esprit, comme une eau fraîche s’élevant tout autour d’elle. Elle avait bel et bien eu tort de forcer des animaux à accomplir sa volonté. Elle devait cesser. Et il était également temps d’abandonner armes et vêtements, de se débarrasser de la carapace extérieure qu’elle s’était constituée dans le monde corrompu par-delà la porte. Elle revenait chez elle à présent, vers la paix et l’accomplissement. Allait-elle se présenter sous l’aspect d’une enfant sale et entêtée ? Voulait-elle que le Limbreth la juge indigne ? Ki fit passer son chemisier pardessus sa tête et laissa ses cheveux retomber librement dans son dos. Elle se défit de sa jupe longue de voyage avant de se débarrasser de ses bottes. Elle s’étira, chaude et resplendissante sous la caresse nocturne. Hollyika lui offrit un sourire rayonnant.

— Je suis ici depuis plus longtemps que toi, donc la rivière m’a enseigné plus de choses. Mais ne sois pas découragée, car je vais t’aider. C’est une chose que j’ai déjà apprise de la rivière : nous devons nous entraider si nous voulons atteindre notre objectif. La route qui s’étend au-devant de nous constitue l’ultime mise à l’épreuve de notre valeur.

— Mais... j’ai cru que tu repartais en arrière. Nous nous sommes croisées sur la route.

Hollyika secoua la tête.

— La route s’éloigne de la rivière à cet endroit. Elle parcourt un chemin long et sec et je n’avais pas emporté d’eau avec moi. J’ai marché et dormi et marché encore. Mais je n’ai pas trouvé d’eau, rien qu’un lit de rivière à sec. Sans l’eau de ce monde, je n’étais pas capable de continuer. J’ai dû revenir à la rivière. Nous devrons porter nos propres réserves d’eau si nous voulons continuer. Nous ne pourrons nous en passer car là-bas on se trouve assailli par un assèchement pire que celui de la gorge et de la langue. C’est l’esprit lui-même qui se flétrit.

— Les barriques du chariot sont pleines, proposa Ki. Si nous prenions le chariot et l’attelage...

Les mains de Hollyika s’élevèrent dans un geste sévère.

— Nous n’aurons qu’à emporter une barrique d’eau en la faisant rouler devant nous.

Quelque chose n’allait pas dans cette idée, un élément de folie fatale, mais Ki n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. Les parties logiques et rationnelles de son esprit avaient abdiqué. N’ayant pas d’autre idée, elle suivit Hollyika jusqu’au chariot. Ki entreprit de défaire les lanières et les boucles épaisses qui maintenaient la barrique en place et Hollyika s’accroupit à ses côtés pour l’aider à poser au sol leur charge glougloutante. Ses narines se mirent à palpiter dans la pénombre. Elle recula loin de Ki et du chariot, laissant retomber ses mains d’un air de dégoût. Ki lui jeta un regard perplexe. Puis son odorat moins développé finit par repérer l’odeur. Celle-ci évoquait les relents d’une brume nocturne au-dessus d’un cimetière insalubre ou la moiteur méphitique qui s’élève la nuit depuis les eaux noires des égouts des villes.

Hollyika s’exprima d’une voix étranglée.

— C’est la barrique d’eau. L’eau est devenue stagnante ou elle était déjà impure lorsque tu en as rempli tes réservoirs.

Ki entrouvrit le robinet. Il ne s’en échappa pas plus de l’équivalent d’une chope avant qu’elle ne le referme mais l’odeur putride qui se dégageait des taches laissées sur le gravier lui donna des haut-le-cœur. Elle s’éloigna du chariot en agitant une main devant son visage.

— Nous allons devoir vider la barrique et la nettoyer avec du sable de la rivière avant de la remplir à nouveau, dit Hollyika.

Ki secoua la tête.

— On ne peut pas nettoyer la souillure d’une eau aussi croupie en grattant les parois. La barrique ne ferait que contaminer tout ce qu’on mettrait dedans.

— Alors qu’allons-nous faire ?

Ki perçut le bruit que produisait le panache palpitant de Hollyika sous l’effet de l’agitation.

— Nous transporterons de l’eau dans quelque chose d’autre. Dans une outre, une cruche ou quelque chose de ce genre.

Ki se sentit particulièrement fière d’elle-même d’avoir eu une telle idée. Non seulement ce serait plus simple que de faire rouler la barrique devant elle, mais c’était... c’était... Elle avait perdu le fil de ses pensées. Tant pis. Depuis quelque temps, ses pensées avaient ainsi tendance à flotter hors de son esprit, à prendre naissance dans un lieu inattendu et à s’arrêter en milieu de parcours. Mais même dans cette situation, elle savait que les pensées qu’elle réussissait à saisir étaient meilleures que tout ce que son esprit avait pu produire auparavant. Ses idées étaient en train de changer ; elles étaient améliorées afin de s’accorder au monde meilleur que Ki traversait et Hollyika partageait cette même purification. La Romni entreprit de fouiller à tâtons la cabine du chariot à la recherche d’un contenant pour l’eau. La gourde qu’elle conservait d’habitude sur un crochet près de la porte avait disparu et elle était incapable de se remémorer où elle pouvait être. L’essentiel de ses provisions était composé de nourriture séchée et conservée dans des boîtes et des emballages en tissu ou en papier. Les deux cruches de terre dont elle disposait étaient dotées de trop larges goulots. Elles convenaient bien à un usage au sein d’un chariot bringuebalant mais seraient bien trop encombrantes pour être transportées confortablement.

Une nouvelle fois, Ki parcourut du regard l’intérieur de la cabine. Si seulement elle arrivait à se concentrer... Elle laissa ses yeux se balader, dans l’espoir de trouver l’inspiration. Elle jeta un œil aux couvertures faites des peaux arrachées à des créatures vivantes, aux carcasses séchées et fumées dont elle s’était autrefois nourrie, à la rapière dans son fourreau, destinée à faire couler le sang, à la chemise en cuir tanné de Vandien...

Vandien. Il y avait quelque chose au sujet de Vandien, quelque chose dont elle devait se rappeler. Elle tâtonna et finit par trouver. Elle avait tant d’affection pour lui. Il lui avait appris à suivre son cœur et pour cela elle chérirait toujours son souvenir. Autre chose ?

Avec une exclamation, Ki bondit en avant. Elle lui avait acheté un deuxième cadeau avant de quitter Jojorum. Elle récupéra une cruche de cognac cachée sous les oreillers. Elle l’avait dissimulée là pour lui faire une surprise. Il ne s’agissait pas là du vin aigre et bon marché avec lequel ils avaient l’habitude de se rincer la gorge au terme d’une journée de voyage dans la poussière. C’était une boisson forte, un alcool venu de... quelque part. Ki découvrit que ses souvenirs au sujet du cognac s’étaient dissipés. Qu’est-ce qui lui avait pris de la placer sous les oreillers ? Un endroit totalement inapproprié pour ranger un tel objet. Ki se saisit de la cruche qui émit un glouglou interrogateur. Elle se la cala fermement sous le bras.

Hollyika se tenait près d’elle, la regardant d’un air impassible tandis que Ki retirait soigneusement le bouchon du goulot étroit de la cruche. La Romni huma les arômes d’un air appréciateur. Les narines de Hollyika frémirent lorsqu’elle perçut l’odeur de l’alcool. Les flammes de la vertu semblèrent diminuer dans son regard tandis qu’elle se léchait les babines.

— Ce serait dommage de gâcher ce breuvage, lui fit observer Ki.

Hollyika saisit la cruche entre ses doigts trapus et l’approcha de son visage ; son front se plissa et son panache se hérissa tandis qu’elle inhalait. Elle fit mine de rendre la cruche à Ki. Mais, comme si elle doutait soudain de sa première impression, elle huma de nouveau le goulot, jeta un coup d’œil rapide vers Ki et avala une lampée de la boisson. Après quoi elle cligna lentement des yeux. Ki contemplait, fascinée, la manière dont la partie inférieure de ses paupières s’élevait pour rencontrer la partie supérieure pardessus ses grands yeux brillants.

— Ce serait dommage, en effet, admit Hollyika après avoir pris une profonde inspiration. Et pourtant il nous faut un récipient dans lequel transporter l’eau. Celui-ci semble constituer notre seul choix.

Elle commença à incliner la cruche vers le sol mais Ki lui rattrapa le bras.

— Profanerais-tu le sol de ces terres en déversant dessus le produit du monde qui se trouve au-delà de la porte ? Tout comme j’ai refusé de laisser ta selle et tes vêtements sur la route, de crainte que ces témoignages de nos origines mauvaises n’offensent quiconque, je pense que nous ne devrions pas contaminer ce sol pur avec cette boisson.

Ki reprit la cruche des mains de Hollyika et avala à son tour une lampée de cognac. Elle goûta à l’après-midi ensoleillé du verger lointain au sein duquel la boisson était née. Une chaleur minuscule se développa dans son estomac, un souvenir de la lumière du soleil se déversant sur les arbres. Ki se sentit étrangement divisée. La chaleur solaire du cognac dans sa gorge et son ventre contrastait bizarrement avec les envies fraîches et urgentes que lui inspiraient cette terre plongée dans la nuit et ses eaux vivaces. Ki prit une nouvelle gorgée, pour savourer cet instant de division en son for intérieur, tout en s’en trouvant un peu effrayée. Elle ferma les yeux, percevant la bataille des éléments à travers son corps, à peine consciente du fait qu’Hollyika lui prenait la cruche des mains.

Lorsqu’elle ouvrit les yeux quelques instants plus tard, ce fut pour voir Hollyika décoller la cruche des lèvres délicatement pincées de son impressionnante mâchoire. Ki reprit le récipient. Elle remarqua à quel point Hollyika paraissait à l’aise, assise le dos contre les rayons jaunes de l’une des roues du chariot. Ki la rejoignit et but une nouvelle fois à la cruche avant de la reposer soigneusement sur le gravier, entre elles. Avait-elle jamais ressenti une aussi étrange forme de stimulation du fait de la boisson ? Ki savait qu’elle n’avait pas la résistance à l’alcool de certains de ses compagnons Romni, mais elle avait l’habitude de boire en restant digne et maîtrisée. Peut-être le cognac était-il plus puissant qu’elle ne le pensait ou peut-être était-ce parce qu’il affrontait la fraîcheur de l’eau de la rivière qui coulait déjà en elle. Quoi qu’il en soit, Ki avait l’impression que le monde s’inclinait autour d’elle et se balançait d’une manière à la fois merveilleuse et alarmante.

Elle sentit la main de Hollyika sur la cruche et la lui laissa.

— Je ne pensais pas que les Brurjan buvaient autre chose que de l’eau, du lait ou du sang, fit-elle observer avec cordialité. Mais il faut dire que j’étais persuadée qu’ils étaient aussi purement carnivores. Ce qui montre bien qu’on ne devrait jamais se fier aux rumeurs concernant les autres races avant d’avoir fait la connaissance de l’un de leurs membres.

— Exact.

Hollyika avait répondu après un long moment de silence :

— Qu’est-ce qui est exact ?

Ki avait perdu le fil de la conversation. Elle souleva la cruche qui reposait contre sa hanche.

— Exact qu’on ne devrait pas croire les rumeurs. Les vrais Brurjan ne boivent pas de vin et ne mangent pas de trucs verts qui poussent dans la terre. On ne se lèche pas non plus la fourrure.

Ki était fière de pouvoir boire et écouter en même temps. Elle offrit au cognac juste le temps nécessaire pour qu’il dévale le long de sa gorge et aille confortablement se nicher bien au chaud dans son ventre. L’alcool repoussait le frisson caressant de l’eau de la rivière dans ses extrémités. Des étincelles glacées parcouraient ses doigts et ses orteils. La sensation méritait tout à fait qu’on lui prête attention. Mais il ne fallait pas oublier les bonnes manières. Chacun se doit de converser avec ses invités.

— Je n’ai jamais entendu raconter que les Brurjan léchaient leur fourrure, répondit Ki d’un ton amical.

Hollyika reposa lourdement la cruche sur le gravier à côté de Ki.

— Ils ne font rien de tel ! s’exclama-t-elle d’un ton nettement moins amical. C’est une rumeur stupide, sûrement lancée par un Kjeetan. Les Kjeetan. Voilà une espèce dont les habitudes sont dégoûtantes. Tu savais que lorsqu’ils muent, ils font bouillir leur peau dans une soupe et ils la mangent ?

Ki fronça les narines de dégoût et reprit une lampée de la cruche pour chasser des pensées aussi déplaisantes loin de son palais. Elle fronça légèrement les sourcils en constatant que la cruche était nettement moins remplie que quelques minutes auparavant. Elle se tourna pour regarder Hollyika boire. C’était une créature massive et une gorgée pour elle équivalait à une chope bien remplie pour Ki. Mais Ki ne lui en tint pas rigueur. Il y en avait assez pour deux. La chaleur du cognac remplissait le corps de Ki tel un soleil miniature qui la réchaufferait de l’intérieur. Mais une couche de fraîcheur s’étendait sur l’ensemble de son cœur, la fraîcheur de ce monde sans soleil. Ki frissonna délicatement en songeant à ce contraste.

— Mais ! s’exclama-t-elle brusquement tandis qu’une pensée stupéfiante lui traversait tout d’un coup l’esprit. Mais tu es une Brurjan et tu bois du cognac ! Qu’est-ce que tu dis de ça, hein ?

Hollyika laissa négligemment retomber la cruche. Celle-ci tomba sur le flanc mais elle ne contenait plus assez de liquide pour que celui-ci se renverse. Ki la remit néanmoins bien droite, sa base plantée dans le gravier pour la maintenir debout.

— Pas une Brurjan ! (Le ton de Hollyika était à présent aussi lugubre qu’il avait été coléreux auparavant.) À moitié humaine, vois-tu. Mère a toujours dit que ça voulait dire que je pouvais me livrer aux vices des deux races. Et c’est ce que j’ai fait. Mais c’est fini ! (Elle avait lancé cette soudaine promesse vers les cieux nuageux.) Fini ! Hollyika ne mange plus de viande. Je n’oblige plus un pauvre vieux cheval à accomplir mes quatre volontés. Je l’ai laissé partir. Il peut aller se rouler dans l’herbe ou se chercher une jument ou juste rester là sans rien faire. Je l’ai laissé partir. Même si je l’aime. Ce satané vieux cheval. Il est tout ce que j’ai, Ki, et à présent je ne l’ai plus. Je l’ai laissé partir, vois-tu. Et j’ai jeté mon épée, mon armure et mes vêtements, tout. À partir de maintenant, je ne mangerai que des machins verts et je ne boirai que de l’eau, jusqu’à ce que je trouve la paix du Limbreth.

— Moi aussi, murmura Ki.

Leurs mains se rencontrèrent autour de la cruche. Ki laissa aimablement Hollyika boire la première. Elle le regretta l’instant d’après, lorsqu’elle fut obligée de mettre la cruche la tête en bas pour en tirer les dernières gouttes. Elle reposa la cruche avec un soin extrême et se rallongea sur le gravier.

La fraîcheur de l’eau de la rivière dansait et fourmillait sur la peau de son corps tout entier mais la chaleur du soleil était toujours en elle et Ki ne frissonnait pas. Elle leva nonchalamment les deux mains et s’amusa à rapprocher les extrémités de ses deux index l’une de l’autre. Au troisième essai, elle les fit se toucher mais se trouva déçue de constater qu’aucune étincelle d’énergie liquide n’avait jailli de ce contact. Elle laissa ses mains retomber le long de son corps et poussa un profond soupir. Hollyika était en train de parler à ses côtés, sa voix si proche de l’oreille de Ki que celle-ci présuma qu’elle aussi avait dû s’allonger sur les graviers.

— ... Arraché sa coquille morceau par morceau. Oh, comme il sifflait, et ses antennes claquaient contre sa carapace. De la bave jaunâtre sortait de ses bouches. J’en ai été malade pendant des jours et des jours. Mais il a parlé. Oh oui, il a parlé. Je les avais crus, à l’époque. Ils avaient dit que le choix était clair et que c’était à moi de le faire. Je pouvais soit lui soutirer la vérité au sujet des plans de bataille, et faire ainsi du mal à une créature, ou je pouvais laisser des centaines des miens chevaucher vers une mort certaine. Le choix m’avait paru si simple à l’époque. Ce Tchéria mourrait lentement, au prix d’une douleur inimaginable, ou des centaines d’individus seraient massacrés. J’ai considéré ça comme un problème mathématique, Ki. Qu’est-ce qui est plus grand, un ou cent ? Mais il se peut que ce Tchéria ait souffert de ma main plus que n’auraient souffert cent guerriers brurjan des suites de blessures reçues au combat. Je n’y avais jamais pensé avant de venir ici. Mais à présent j’y pense et cela me rend triste. Pourtant je sais que ces pensées constituent un élément nécessaire, quoique pénible, à ma préparation. Je serai en paix lorsque j’atteindrai cet horizon que nous voyons miroiter au loin. C’est un peu comme d’aller voir un médecin : avant de pouvoir te venir en aide, il doit tâter chaque blessure, même celles qui se sont refermées et que tu penses guéries. C’est ce que le Limbreth est en train de me faire. Il force à s’ouvrir les blessures suppurantes à l’intérieur de mon esprit. Ce n’est pas pour se montrer cruel, mais pour que l’infection à l’intérieur puisse s’épancher. N’as-tu pas ressenti la même chose, Ki ?

Ki se sentait la proie d’une étrange léthargie... et de quelque chose d’autre. Mais elle se sentait aussi en mesure de parler et d’écouter.

— J’ai bien peur que mes péchés soient d’un genre différent. J’ai vécu un bel amour, mais sans les manifestations physiques ni les mots appropriés. J’ai traité des sentiments de tendresse à la manière d’une plaisanterie. Je suis avare de mes sentiments.

— Tes crimes sont ceux d’une enfant, renifla Hollyika. J’aimerais n’avoir que si peu de choses à regretter.

Son ton complaisant avait froissé Ki. Des crimes d’enfant, hein ? Son esprit de compétition s’était réveillé et elle se mit en quête d’actes pires à avouer, des choses au moins aussi horribles que d’avoir lentement mis en pièces un Tchéria. Dans cet état d’esprit pénitent, elle ramena des profondeurs de sa mémoire d’anciennes actions qu’elle n’avait guère regrettées par le passé mais qui auraient l’apparence de véritables crimes.

— J’ai tué deux harpies de mes propres mains, lâcha-t-elle d’une voix sombre. Et causé la mort de leurs œufs. J’ai aussi tué une Ventchanteuse.

Elle négligeait de mentionner que les deux premières morts avaient été une question de survie et que l’autre était due plus à l’ignorance qu’à une réelle intention de nuire. Mais pourquoi gâcher des aveux aussi terribles en mentionnant des circonstances atténuantes ?

Hollyika n’avait cependant pas l’intention de se laisser supplanter.

— La mort ! Tu considères le meurtre comme le plus grand des crimes ? J’aimerais tant arriver devant le Limbreth avec autant d’innocence que toi ! J’ai donné la mort plus d’une centaine de fois, au cœur de la bataille comme dans l’ombre d’une ruelle. Devrais-je réserver mes regrets les plus profonds au fait d’avoir délibérément mis fin à une vie ayant probablement commencé dans la fièvre d’un accouplement bestial, simple conséquence d’un plaisir assouvi ? Je mène depuis toujours l’existence d’une métisse, Ki : pour obtenir l’approbation des autres, j’ai accompli les actes les plus vils, actes dont le simple souvenir obscurcit mon esprit. Pour faire mes preuves en tant qu’humaine, j’ai trahi des amis brurjan. Pour prouver que j’étais une Brurjan, je me suis nourrie des cadavres de ceux qui avaient été tués sans même savoir pourquoi la bataille avait eu lieu. Un jour, pour prouver mon affection envers un humain que j’aimais, j’ai arraché les dents sacrées des mâchoires encore fumantes de camarades brurjan morts. C’étaient les dents dont ils avaient besoin pour entrer dans le Hall de l’Éternel Festin. Et lorsque j’ai plus tard trouvé ce même humain dans les bras d’une femme humaine fine et imberbe, je ne me suis pas laissée adoucir par mes sentiments passés. Je leur ai alternativement prodigué toute mon attention. Chacun d’eux a appris à apprécier les hurlements de l’autre comme une véritable musique. Car pendant qu’il criait, elle se voyait épargner l’usage de mes talents, et tandis qu’elle pleurait et implorait pitié, sa chair à lui n’avait pas à subir de nouveaux tourments.

— Pourquoi me racontes-tu cela ? demanda Ki d’une voix basse et intense.

Elle n’avait aucune envie d’entendre les récits de Hollyika. Ni la paix apaisante qui imprégnait cette terre crépusculaire ni le rayonnement solaire de l’alcool dans son estomac ne pouvaient la rendre totalement insensible à de tels propos. Ki voulait continuer de voir en Hollyika une compagne rencontrée par hasard, une pèlerine se dirigeant comme elle vers les lueurs à l’horizon. Elle était en chemin vers la paix et l’accomplissement, vers la résolution de ses problèmes. Pourquoi Hollyika se sentait-elle obligée de lui rappeler avec autant d’intensité les douleurs du monde qu’elles avaient abandonné ? Les actes qu’elle décrivait avaient tous été commis de l’autre côté de la porte. Ki souhaitait qu’ils y restent.

Hollyika demeura silencieuse pendant un long moment. Ki écouta le murmure de la rivière et le bruit des chevaux qui se déplaçaient pour brouter dans l’obscurité. Des profondeurs de son être émergea le souhait de voir le soleil se lever et les éléments obscurs de l’environnement illuminés par une lumière alliée. Mais avant que Ki ne puisse continuer sa pensée, Hollyika reprit la parole :

— Je te dis ces choses pour être honnête, parce que j’ai senti que si tu n’étais pas au courant, tu pourrais m’apprécier. Ce serait pour moi une expérience agréable, mais il s’agirait alors d’une tromperie sans raison valable de ma part. Sur ces terres, je ne dois tromper personne, sauf à vouloir tout perdre. Si nous nous étions rencontrées avant, de l’autre côté de la porte, tu n’aurais eu aucune sympathie pour moi, Ki. Il y a à peine un mois, j’aurais chevauché jusqu’à ton chariot dans l’obscurité pour empaler tes bêtes avec ma lance, réduire ton équipement en pièces et mettre le feu à ton campement tout entier.

— Une Déguerpisseuse...

Ki l’avait compris depuis longtemps sans vouloir l’admettre. Elle sentit un frisson la parcourir, une froideur glacée aussi différente du plaisir procuré par l’eau de la rivière que la mort peut l’être d’une agréable rêverie.

— Une Déguerpisseuse, confirma Hollyika tandis qu’un voile de noirceur paraissait soudain se refermer sur Ki. « Pour une somme modique, ami marchand, je préserverai cette ville de la vermine Romni. Un honnête homme tel que vous ne devrait pas avoir à entrer en compétition avec des colporteurs et autres commerçants dans leur genre. Pour une somme modique, je terroriserais leurs enfants, j’estropierais leurs chevaux, je détruirais leurs chariots et j’éparpillerais leurs caravanes. Pour une somme modique. »

Ki sentit remonter en elle des souvenirs d’enfance, des souvenirs de ténèbres et de terreur. Ils s’agitaient au fond de son esprit tels des lézards mais elle refusa de les laisser occuper le cœur de ses pensées. Réprimés depuis longtemps, ces souvenirs ne pouvaient que s’agiter dans les recoins les plus sombres de son passé. Des mains rudes s’étaient abattues sur elle dans le noir, et elle avait hurlé... Elle ressentit soudain une neutralité étrange, comme si tous les sentiments qu’elle pouvait éprouver à l’égard de Hollyika étaient suspendus. Son esprit oscillait sur le fil du rasoir. Elle pouvait songer aux Déguerpisseurs et à tout ce qu’ils avaient représenté dans son ancienne vie et, quand la léthargie due au cognac s’évanouirait, elle en viendrait à haïr Hollyika, peut-être jusqu’au point d’une confrontation physique. Ou elle pouvait se rendre à la rivière, boire avidement de son eau paisible et rafraîchissante et être guérie de sa haine et de ses souvenirs. Jamais auparavant Ki n’avait ressenti une telle capacité de contrôle sur ses émotions.

Hollyika se leva avec un grognement. Ki regarda sa silhouette légèrement oscillante se découper sur le gris profond du ciel. Elle examina le profil de la demi-brurjan depuis son point d’équilibre mental délicat et découvrit une beauté frappante dans l’étrangeté de son corps.

— Où vas-tu ? se surprit-elle à demander.

— Chercher plus d’eau, répondit Hollyika à contrecœur. Je m’aperçois que j’en ai autant envie à présent que lorsque je suis retournée sur les berges de la rivière la première fois. Et pour les mêmes raisons. Une soif de l’âme. N’est-ce pas ironique, Ki ? Depuis que j’ai traversé la porte, j’ai enfin commencé à me voir moi-même. Pour rendre cette vision supportable, je dois la noyer dans l’eau de la rivière. La noyer ou me noyer. Peut-être est-ce une seule et même chose.

Ki écouta le rythme particulier des pas de Hollyika tandis qu’elle se déplaçait sur les graviers. La Romni leva les yeux vers les lumières du Limbreth. La haine et l’amitié vacillaient dans son esprit. Pourquoi la haine ? À cause de ce que les Déguerpisseurs faisaient aux Romni. Pourquoi l’amitié ? Parce que Hollyika était venue en paix depuis les profondeurs de la nuit et qu’elle partageait le pèlerinage que Ki avait entamé. C’est par égoïsme que Ki finit par se décider. Si elle choisissait de haïr, il faudrait qu’elle aille au bout de ce chemin. Celui-ci ne se terminait pas sous l’éclat plein de promesses des Joyaux du Limbreth et c’était la paix qu’ils apportaient dont elle avait besoin. Elle se leva et suivit Hollyika jusqu’au bord de la rivière en emportant la cruche vide avec elle.

Ki s’agenouilla près de l’eau. Un peu plus bas, elle pouvait entendre Hollyika étancher bruyamment une soif apparemment insatiable. Ki approcha son visage de la surface frémissante. Des gouttelettes projetées en l’air par la course de la rivière se déposèrent sur son front et ses joues. Elle sentit le courant d’air frais qui accompagnait les eaux et huma leur délicieuse fraîcheur. Et pourtant elle hésitait encore. Elle n’était pas du genre à boire pour être ivre ni à manger uniquement pour savourer le goût d’un aliment. Elle vivait sa vie avec modération, trop circonspecte pour donner trop libre cours à ses désirs. Son éternelle prudence énervait Vandien, mais elle avait souvent protégé celui-ci du risque de voir ses problèmes empirer au-delà du raisonnable. Lui était homme à se complaire dans la moindre sensation agréable. Ki était une goûteuse, quelqu’un qui prenait rarement plus d’une bouchée, une enfant timide debout au bord du chemin de la vie qui apprenait en observant les autres.

A présent elle était sur le point de boire, de noyer sa circonspection et sa haine de l’ancienne Déguerpisseuse dans les eaux fraîches et douces de ce monde d’obscurité. La rivière l’appelait, murmurait et rugissait dans ses oreilles, et elle écoutait. Elle baissa ses lèvres jusqu’à l’eau.

 

Elles revinrent s’asseoir près du chariot pendant un petit moment. La cruche humide, désormais pleine de l’eau de la rivière, reposait entre elles. Elles ne parlèrent pas. Elles étaient trop concentrées sur elles-mêmes, sur les nouvelles sensations qui s’agitaient à l’intérieur de leur corps. L’eau de la rivière étouffait les flammes du soleil de cognac. Ki sentit la chaleur fuir son corps comme l’avait fait la fraîcheur de l’eau auparavant. Elle la sentit quitter son ventre et s’élever brièvement dans un rougeoiement chaud qui fit rosir sa peau avant de disparaître. La fraîcheur de la nuit se referma sur elle à la manière d’une cape, la protégeant de tous les excès, de haine comme d’amour.

Cela la frappa brusquement, comme une contracture soudaine. Il était temps de partir. Temps de reprendre sa route en direction du Limbreth, vers la paix, la satisfaction et l’accomplissement de tous ses objectifs. Telles des marionnettes jumelles dirigées par un unique marionnettiste, Ki et Hollyika se levèrent. Ki souleva la cruche mais Hollyika s’en empara et la cala sous l’un de ses bras rendus luisants par l’eau de la rivière.

Sigurd et Sigmund levèrent tous les deux la tête pour regarder partir Ki. Ils ne la suivraient pas, car le chariot était leur maison. Si leur maîtresse avait eu besoin d’eux, elle les aurait appelés et leur aurait passé leurs harnais. Le cheval noir de Hollyika avait plus de mal à se décider. Il hennit dans sa direction et trotta sur la rive de graviers jusqu’à se tenir au milieu de la route lisse, le regard fixé sur elle. Mais elle ne siffla ni ne claqua des mains pour l’appeler. Il secoua la tête. Après un dernier reniflement interrogateur, il retourna vers les autres animaux et la douceur de l’herbe tendre.

Pour Ki, emprunter une route à pied était étrange. Elle n’avait pas l’habitude de marcher sur plusieurs kilomètres, encore moins pieds nus. Mais elle était néanmoins capable de suivre le rythme des petits pas vifs de Hollyika. Sa démarche particulière donnait à Ki l’étrange impression de faire une promenade aux côtés d’un poulet. La nuit était silencieuse, à l’exception du claquement rapide des pieds ronds de Hollyika sur la surface de la route. Celle-ci prit un virage serré en s’éloignant de la rivière aux murmures incessants. Pour la première fois, Ki prit conscience qu’elles étaient en train de grimper une côte. La route s’attaquait à l’ascension des collines. La Romni tourna son regard vers l’éclat attirant au loin. Les yeux fixés sur les lumières, elle s’aperçut qu’elle n’avait besoin d’observer ni la route ni ses pieds. C’était facile, plus facile que tout ce qu’elle avait jamais fait dans sa vie. L’eau de la rivière courait dans son corps, l’affaiblissait. Et Ki souriait.

La porte du Limbreth
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